Dune Canada, Hongrie, Royaume-Uni, Etats-Unis 2020 – 155min.

Critique du film

L’impossible défi de Denis Villeneuve

Théo Metais
Critique du film: Théo Metais

C’était l’œuvre de science-fiction inadaptable, maudite presque. Un morceau de littérature devant l’éternel, forteresse imprenable aux pieds de laquelle gisaient les vaines tentatives de David Lynch, d’Alejandro Jodorowsky et une série télévisée des années 2000. Le chef-d’œuvre de Frank Herbert paraissait intouchable, mais c’était sans compter sur Denis Villeneuve.

C’est l’histoire d’un jeune héritier, Paul Atreides (Timothée Chalamet) dont le destin s’apprête à être bouleversé alors que son père, Leto Atréides (Oscar Isaac), reçoit la planète désertique Arrakis pour fief de l’Empereur. Son sable contient la base de l’économie impériale : une Épice précieuse, une drogue, capable de prolonger la vie humaine et qui rend possible la navigation interstellaire. Alors que Leto se rend sur Arrakis pour prendre le contrôle de l'extraction d’Épice avec son fils Paul, sa compagne Bene Gesserit, Dame Jessica (Rebecca Ferguson), et ses protégés, il est trahi par la famille Harkonnen. Bientôt les cartes sont redistribuées : l’heure est venue pour les Fremen, peuples autochtones d’Arrakis, de se révolter et Paul de marcher vers sa nouvelle destinée.

Classique majeur de la science-fiction, le cycle Dune trouve sa genèse sur les dunes de Florence dans l’Oregon : une bande de sable de plus de 60 kilomètres de long dont la stabilité est menacée et sur laquelle Frank Herbert est chargé d’enquêter en 1959 en qualité de journaliste. Le gamin de Tacoma se passionne pour son sujet, multiplie les recherches et bientôt Paul Atréides pointe le bout de son nez. L’article, lui, ne vit jamais le jour. À sa sortie en 1965, Dune devient un classique immédiat, rafle des prix prestigieux et marque au passage une génération de lecteurs et de lectrices ; et la science-fiction d’en être bouleversée à jamais.

Pourtant, le style Herbert ne fait pas l’unanimité et la complexité de ses intrigues rend l’univers imperméable, impénétrable. Aussi l’auteur, résolument avant-gardiste, s’empare de thématiques nouvelles, sinon « modernes ». À l’aube d’une large conscience écologique, Dune pourrait presque intégralement se lire comme un manifeste sur la colonisation, la surexploitation des richesses naturelles et la destruction de l’environnement à dessein. Frank Herbert était un écologiste convaincu ; Dune parle aussi de génétique, de féminisme, d’impérialisme, de technologie, de religion, avec notamment la destinée de Paul Atréides au sein d’une religion qui emprunte à l’islam… Une œuvre cryptique, foisonnante, une mise en garde, une synchronicité abyssale avec notre monde ; Denis Villeneuve tenait là une adaptation impossible. Et pourtant!

Pour gravir le Mont Analogue, il fallait être exceptionnel et à la barbe de ses détracteurs, il plante le drapeau d’une adaptation cyclopéenne. On ne tombe jamais que du côté où l’on penche, dit-on, et Dune regroupe la fine fleur d’une forme d’excellence en matière de grandes épopées oscarisées et oscarisables. Hanz Zimmer tient la baguette d’une partition étourdissante, Denis Villeneuve s’accompagne notamment du très acclamé Eric Roth au scénario, Roger Deakins, qui a quitté le navire, a laissé le champ libre à la fabuleuse cinématographie de Greig Fraser, Jacqueline West se charge des costumes, Theo Green du design sonore, et la distribution, avec ses airs d’Avengers de la culture pop, aura de quoi vous faire trembler. Nouvelle coqueluche du cinéma mondial, Timothée Chalamet pique la vedette à Kyle MacLachlan. Utilisant la « Voix » au petit-déjeuner, la main dans une boite face à Charlotte Rampling, sautant dans les bras de son ami le pilote Duncan (Jason Momoa), ou sous l’influence de l’Épice sur Arrakis, l’acteur incarne un Paul magnifique.

La destinée du jeune héritier est rendue dans un savant travail visuel et Villeneuve paraphe l’héritage d’Herbert de son style singulier. Il y a un style Denis Villeneuve, c’est un fait, au point que ses précédentes réalisations se croisent, se parlent et se répondent au détour d’une lumière, d’un plan, d’une gouaille particulière, d’une époustouflante maitrise du son et d’un sens du vertige. Ainsi, la première heure de Dune recèle peut-être les soixante minutes les plus folles de l’année, annonciatrices d’une malédiction conjurée, la rencontre, enfin, entre le roman et son cinéaste.

Puis viendra la trahison ; les vers de sables s’éveillent et Stellan Skarsgård, sinistre baron Harkonnen, s’élève dans les ténèbres de sa toge-fleuve. Et les terres du peuple aux yeux bleus voient approcher leur Mahdi combi au corps. Pour l’accueillir, Zendaya quitte le monde des rêves et Javier Bardem, aka Stilgar, lui tend un glaive. Alors que le tome 2 est déjà en préparation, Denis Villeneuve signe une première adaptation évènement. Ils avaient été quelques-uns à vouloir réconcilier le cinéma et les salles. Un temps, Tenet portait le flambeau, mais l’industrie du cinéma vient sans doute de trouver son messie, réconciliant la génération Z avec les fans de Poe Dameron et de No Country for Old Men. Alors c’est peut-être Chloé Zhao qui le résume le mieux. Membre du jury cette année à Venise, elle s’est précipitée en fin de séance dans les bras du cinéaste au milieu d’une interminable standing-ovation avant de s'exclamer : « fantastic ! ».

06.02.2024

4.5

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Commentaires

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vuilleumierd

il y a 3 ans

Le désert, les plans, les personnages sont fantastiques... mais le rythme était plus lent que ce que je ne m'étais imaginé. Un film à savourer en mode onirique mais sans s'endormir!


raetzo

il y a 3 ans

Extraordinaire de justesse et de concision. Ce n'était pas facile de recréer l'univers de Dune et de rendre simple l'intrigue complexe du livre. Nous attendons avec impatience la suite....


CineFiliK

il y a 3 ans

“Quand t’es dans le désert”

La planète Arrakis, entièrement recouverte de dunes, recèle une substance très convoitée. L’Épice procure des facultés mentales et physiques surhumaines. Le Duc Leto Atréides est désigné par l’Empereur pour exploiter ce territoire précieux aux multiples dangers. Sa concubine Jessica et son fils Paul, garçon aux pouvoirs singuliers, l’accompagnent.

Denis Villeneuve ne craint guère les défis. Après avoir donné suite avec brio à Blade Runner, le voilà marchant sur des sables mouvants. Le cycle romanesque de Frank Herbert porte en lui la malédiction des adaptations, engloutissant en leur temps le travail d’Alejandro Jodorowsky, puis de David Lynch.

Grâce à son talent et aux moyens actuels, le Québécois téméraire garde pied et permet aux profanes de s’initier à ce culte de science-fiction. Son récit demeure lisible au sein d’un décorum impressionnant. Inspiré par le Wadi Rum jordanien, il crée en plein désert une cité rupestre protégée du soleil et des ennemis par des murs plus que massifs. Ses vaisseaux géométriques évoquent aussi un bestiaire mécanique allant des fusées papillons aux hélicoptères libellules. Quant aux fameux lombrics voraces, leur bouche dentée et profonde rappelle l’œil menaçant de Sauron. Un univers grandiose qui écrase parfois les personnages, engoncés dans l’épique et le tragique.

L’humour n’a pas sa place ici. Les thématiques abordent les guerres de religions, les revendications féministes le plus souvent voilées, ainsi que le réchauffement climatique. Dans ce futur dystopique, il n’y a à boire que de la sueur et des larmes.

Sur cette route caillouteuse, il manque peut-être la folie furieuse d’un Mad Max pour tout emporter. Mais n’oublions pas que « ce n’est que le commencement ». Si le succès est au rendez-vous, ce qu’on lui souhaite, l’histoire ainsi posée pourra se poursuivre et passionner.

(7/10)Voir plus

Dernière modification il y a 3 ans


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